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La transmission de savoirs licites et illicites dans le monde hispanique péninsulaire (XIIe au XVIIe siècles)

 | 
Luis González Fernández
, 
Teresa Rodríguez

De la trotaconventos à la buena y sabia maestra : réflexions sur la transmission des savoirs dans La Célestine

Sophie Hirel-Wouts

Texte intégral

« L’homme qui écrit n’est plus qu’un appareil de transmission »
Joseph Kessel

  • 1 Georges Martin, prologue, in : Georges Martin (dir.), Fernando de Rojas. La Celestina. Comedia o tr (...)
  • 2 Toutes mes citations de l’œuvre sont tirées de Fernando de Rojas. La Celestina. Comedia o tragicome (...)

1Le thème de la transmission ne peut être étranger à une œuvre qui a très vite suscité un genre littéraire et « qui est en passe de fonder – tellement les traits s’en sont fixés – un genre critique »1. Il est d’ailleurs inscrit dans la genèse même de la Comédie ou Tragi-comédie de Fernando de Rojas puisque l’auteur en question dit être détenteur d’un premier acte inachevé dont il ne fait que dérouler l’intrigue : « yo vi en Salamanca la obra presente / movíme a acabarla por estas razones »2. Malgré l’évidence de ces déclarations, un véritable jeu d’énigmes (acrostiches, legs de l’acte 1, question de l’autorité) accompagne la genèse de l’œuvre et fait de cette dernière un objet de transmission complexe. Les différentes refontes, interpolations, suppressions, substitutions et corrections subies par le texte tant lors du passage de la version primitive (manuscrit de Palacios) aux versions de la tragi-comédie que lors de son passage à la postérité (nombreuses sont les imitations de La Célestine) ne font que confirmer la richesse de l’œuvre de Rojas quand il s’agit de réfléchir sur la transmission. Il y a plus : le contraste entre les intentions moralisatrices déclarées par l’auteur dans les pièces liminaires et l’insolent hédonisme, l’incroyable effronterie de la Tragi-comédie ferait de celle-ci le support idéal pour une étude sur le caractère licite ou non du « message » porté par l’œuvre. La question serait alors de déterminer si la mort et la désolation qui attendent les personnages à la fin de l’œuvre parviennent à discréditer les savoirs machiavéliques dont ceux-ci sont initialement dotés... Dans cette double perspective, la Tragi-comédie de Fernando de Rojas s’imposerait presque comme une évidence pour nourrir une réflexion sur la transmission des savoirs licites ou illicites.

2Mon approche, pourtant, est tout autre et ne porte ni sur la transmission textuelle, ni sur l’intentionnalité (toujours hypothétique à mon sens) de l’œuvre ! L’analyse qui suit se centre en effet sur les données intra-textuelles du système narratif de la Tragi-comédie (version de 1501) et, plus que sur un contenu transmis, sur les modes de transmission des savoirs de Célestine et sur leur impact sur la structure de l’œuvre éponyme.

3Il ne s’agira pas, loin s’en faut, de décliner tous les modes opératoires de la transmission dans l’œuvre mais d’en souligner quelques traits saillants. J’entends tout particulièrement montrer à quel point la transmission est organiquement liée au personnage de Célestine, non pas en tant que sorcière ou entremetteuse, mais en tant que détentrice d’une connaissance fondamentale concernant l’être humain, connaissance par nature inscrite en marge des savoirs licites habituellement réservés à l’homme. À savoir particulier, transmission particulière : je soulignerai dans un deuxième temps comment Célestine crée son propre espace de transmission par le mouvement – le chaos – qu’elle provoque et entretient. J’évoquerai enfin les différentes implications de ces modalités de transmission, en insistant tout particulièrement sur le dialogisme et la polyphonie qu’elles induisent.

Célestine, figure tutélaire

4Il n’est pas anodin (même si on ne peut nier le poids de la contingence historique à ce sujet) que la vieille entremetteuse des amours de Calixte et Mélibée ait fini par donner son nom à la Tragi-comédie car si elle n’en est a priori pas le personnage central, elle en contrôle bien vite, par le rôle qui lui est consacré dans l’économie de l’œuvre, les structures les plus profondes. Sa capacité à irradier sur l’ensemble du texte tient principalement à ses qualités de pédagogue qui lui permettent de laisser durablement son empreinte sur les autres personnages.

5Son rôle de tutrice est manifeste auprès d’Elicia, que Célestine loge et instruit de longue date, sans toutefois obtenir d’elle les résultats escomptés :

  • 3 LC, acte 7, scène 4, p. 382.

Pues en aquellas tales te havías de abezar y provar de quantas vezes me lo has visto hazer. Si no, ay te estarás toda tu vida fecha bestia sin oficio ni renta. Y quando seas de mi edad, llorarás la folgura de agora : que la mocedad ociosa acarrea la vejez arrepentida y trabajosa.3

  • 4 LC, acte 7, scène 2, p. 375-376.
  • 5 LC, acte 7, scène 4, p. 382 : « Hazíalo yo mejor quando tu abuela me mostrava este oficio ; que a c (...)
  • 6 Areúsa n’hésitera pas à reprendre auprès d’Elicia le flambeau laissé par Célestine à sa mort. Cf. L (...)

6Elle se tait néanmoins sur ce point et vante les mérites de sa pupille auprès d’Areúsa, cousine d’Elicia : « ¡Ay, ay, hija, si viesses el saber de tu prima y qué tanto le ha aprovechado mi criança y consejos, y qué gran maestra está ! »4, que la vieille entremetteuse ne dédaignerait assurément pas d’instruire, pas plus qu’elle ne dédaignerait de mettre sous sa coupe la troisième cousine de l’histoire, Lucrecia. Si elle peine à faire école, la vieille ne s’inscrit pas moins dans une lignée de maquerelles et de sorcières ; nous savons en effet qu’elle fut en son temps formée par la grand-mère d’Elicia5 et qu’elle fut longtemps collègue de la mère de Pármeno, Claudina. Elle sera en outre immédiatement relayée à sa mort par la jeune Areúsa, qui représente dans l’œuvre le double juvénile de Célestine et son émule6. Un lien de « maître à élève » unit donc Célestine aux autres prostituées et semble vouloir se maintenir de génération en génération, assurant la transmission des savoirs d’une puta vieja à l’autre... Ce lien, toutefois, n’est pas exclusivement corporatiste et ne devient signifiant dans l’économie de l’œuvre, ne prend sa force et signification qu’en se propageant aux autres personnages.

  • 7 LC, acte 2, scène 3, p. 273.
  • 8 LC, acte 10, scène 2, p. 430.
  • 9 LC, acte 2, scène 3, p. 437.
  • 10 LC, acte 3, scène 1, p. 289, Sempronio parle des « inconuenientes con [su] poca esperiencia », qu’i (...)
  • 11 Les déclarations allant en ce sens abondent. Cf. pour exemple LC, acte 19, scène 1, p. 563 : Tristá (...)

7En effet, indépendamment du lien qui unit la maquerelle aux autres prostituées, Célestine nous est massivement présentée comme un « maître » (« maestra »), une « experte » (« experta ») ou une « sage » (« sabia »). D’emblée, Calixte vante les qualités de cette « sabia y buena maestra destos negocios »7 et si Mélibée attend la deuxième visite de la vieille pour lui reconnaître ce statut, elle le fait alors avec emphase et doublement, qualifiant Célestine de « muger bien sabia y maestra grande »8 puis de « nueva maestra, [...] fiel secretaria »9. Le texte établit de fait une claire dichotomie entre ceux qui ont de l’expérience et du savoir, et ceux qui n’en ont pas10. Il y a d’un côté les idiots (« necios »), les maladroits, les novices11. De l’autre, il y a Célestine, qui se veut chargée d’expérience et de sagesse :

  • 12 LC, acte 1, scène 10, p. 263. Areúsa fait exception au tableau, affirmant son savoir et son expérie (...)

Y de la discreción mayor es la prudencia, y la prudencia no puede ser sin esperimiento, y la esperiencia no puede ser mas que en los vi[e]jos. Y los ancianos somos llamados padres, y los buenos padres bien aconsejan a sus hijos.12

  • 13 LC, acte 12, scène 10, p. 480.

8Cette dichotomie clairement affirmée entre « émetteur » d’un savoir et « récepteurs » jette les bases de la transmission dans La Célestine. Elle érige Célestine en figure tutélaire et fait des personnages qui l’entourent ses « disciples » potentiels. Célestine est parfaitement consciente du statut qui lui est conféré et se montre particulièrement fière de ses savoirs, dont elle rappelle qu’ils ont un coût non négligeable : « [...] todo me cuesta dinero. Y aun mi saber, que no lo he alcançado holgando » (je souligne)13. Elle défend dans un orgueil tout professionnel l’ensemble de ses activités :

  • 14 LC, acte 12, scène 10, p. 482.

[...] soy vna vieja qual Dios me hizo, no peor que todas. Vivo de mi oficio como cada qual oficial del suyo, muy limpiamente. A quien no me quiere, no le busco. De mi casa me vienen a sacar. En mi casa me ruegan14

  • 15 Cf. Jean-Pierre Jardin, « Célestine et les démons », in G. Martin, La Celestina..., note 4.
  • 16 LC, acte 1, scène 7, p. 242. LC, acte 1, scène 7, p. 242 : « El que no conosce mi casa, tenlo por e (...)
  • 17 LC, acte 2, scène 3, p. 273 et LC, acte 10, scène 1, p. 426, respectivement.
  • 18 Respectivement, LC, acte 2, scène 3, p. 273 et acte 10, scène 1, p. 426.
  • 19 Je renvoie sur ce point à Georges Martin, « Urraque, bon amour et autres petits noms charmants », L (...)

et ne semble pas s’encombrer de scrupules quant à la nature des métiers qu’elle exerce. Nous savons qu’elle pratique une médecine tout empirique (obstétrique, chirurgie abortive ou « plastique » comme la restitution de l’hymen) voire, à l’occasion, un peu de chiromancie15. Elle est enfin couturière, mercière, parfumeuse, fabricante de fards, réparatrice de pucelages, sorcière, pédiatre, biologiste et pharmacienne. Elle est à ce titre, comme l’indique Lucrecia, « de todas muy conocida »16 ! Celle qui fut en son temps une prostituée notoire – une puta vieja comme le rappellent en chœur les gens de la ville – est en outre régulièrement sollicitée par les hommes pour ses services de maquerelle, de sous-maîtresse de bordel et, dans le cas qui nous intéresse présentement, de médiatrice17. C’est en effet ainsi que la définissent les principaux intéressés, Calixte et Mélibée. Calixte juge nécessaire d’avoir un « intercessor o medianero que suba de mano en mano mi mensaje » et Mélibée appelle de ses vœux le retour de sa servante en ces termes : « ¡O, si ya veniesses con aquella medianera de mi salud ! »18. L’entremetteuse a donc dans l’œuvre, conformément à la modélisation ovidienne et humanistique, statut d’actant : elle est par nature et par tradition transitive, conductrice, adjuvante19. Chacun – homme comme femme – sait distinctement qui est la vieille et ce à quoi elle se livre, sa réputation n’étant plus à faire sur la place publique :

  • 20 LC, acte 3, scène 1, p. 283.

En esta cibdad nascida, en ella criada, manteniendo honrra como todo el mundo sabe, ¿conoscida, pues, no soy ? Quien no supíere mi nombre y mi casa, tenle por estrangero.20

  • 21 LC, acte 1, scène 7, p. 241-247. En l’occurrence, p. 241 : « Tiene esta buena dueña al cabo de la c (...)
  • 22 LC, acte 1, scène 7, p. 243-245.
  • 23 Cf. LC, acte 1, scène 7, p. 245-247. Sur les condamnations de Célestine pour sorcellerie, Pármeno e (...)
  • 24 La métaphore est longuement filée lors de la deuxième entrevue avec Mélibée. Cf. LC, acte 10, scène (...)

9Personne n’ignore donc, comme en témoigne Pármeno lorsqu’il décrit par le menu le laboratoire de la vieille21, que les activités semi-licites de Célestine (liées à la cosmétique22) vont de pair avec un negotium turpe dont le caractère illicite ne tient pas exclusivement aux activités de sorcellerie de la vieille23. Tous succombent cependant à l’influence de la maquerelle et la respectent car tous ont confiance dans la valeur de l’expérience individuelle qu’elle a fomentée durant des décennies. La comparaison fréquemment établie entre Célestine et le « médecin » témoigne tout à la fois de ce respect et de cette confiance24 : Célestine est décrite comme spécialiste des maladies du cœur (« esperta en curar tales enfermedades »). Elle diagnostique le mal (« mal es de coraçón », « quexar el dolor ») et, en bon chirurgien (« cirujano », « medecino », « experto »), y trouve un remède (« cura », « melezina »).

  • 25 D’autres personnages, Sempronio à l’acte 1 et Elicia à l’acte 16, apparaissent comme « maîtres » (« (...)
  • 26 Exception faite, je le répète, d’Areúsa, comme il est signalé en note 6 de cet article.
  • 27 George Shipley, « Autoridad y experiencia en La Celestina », in Santiago López-Ríos (éd.), Estudios (...)

10Une étude même succincte de la répartition des modalités verbales dans la Tragi-comédie atteste les compétences extrêmes – quoique non exclusives25 – de Célestine ; elle seule est qualifiée de « savante » (« sabia »), les autres étant au mieux « connaisseurs » (« sabidores »)26. La confluence des savoirs et des connaissances (« saver », « conoscer ») dans la personne de Célestine en fait un personnage « autorisé », une « autorité » (pour reprendre Georges Shipley) au sens propre du terme27. Écoutons Sempronio lorsqu’il rappelle à son seigneur :

  • 28 LC, acte 1, scène 4, p. 234.

[...] que passan de cinco mill virgos los que se han hecho y desecho por su auctoridad en esta cibdad (je souligne)28,

ou Elicia lorsqu’elle fait l’éloge de feu sa protectrice en des termes qui affirment la valeur sociale de son expérience :

  • 29 LC, acte 15, scène 3, p. 525.

¡O Celestina sabia, honrrada y autorizada, quántas faltas me encobrías con tu buen saber ! (je souligne).29

  • 30 Le terme « autorité » ne s’applique à nouveau qu’à Célestine (même si Sempronio généralise en parla (...)
  • 31 Je renvoie sur ce point à Marie-Dominique Chenu, « Auctor, actor, autor », Archivum latinitatis Med (...)
  • 32 Appétit qu’elle exprime lors de l’accouplement de Pármeno et Areúsa, acte 7, scène 3, p. 381 : « qu (...)

11En dépit du caractère infamant des activités de la vieille, il apparaît clairement que celle-ci n’en est pas moins estimée et considérée comme experte dans certains arts qui, s’ils ne possèdent pas le prestige et la légitimité suprême des auctores médiévaux, n’ont perdu ni vigueur, ni efficacité, ni autorité30. Célestine est donc un auteur, au sens médiéval du terme « auctor »31, celle qui agit, qui fait, mais elle est aussi celle qui donne autorité et légitimité aux êtres qui l’entourent. Il y a un pouvoir créateur, une force vive dans ce personnage, qui rapproche son action de celle d’un démiurge. La maquerelle se situe d’ailleurs au cœur même de la Création, elle qui veille assidûment à la procréation humaine en favorisant les rencontres, en contemplant avec avidité les scènes originelles32 et en mettant au monde le fruit de ces amours... N’a-t-elle pas assisté à la naissance de Calixte et à celle de Pármeno ?

Aquí está Celestina, que le vido nascer y le tomó a los pies de su madre.

  • 33 Respectivement, LC, acte 4, scène 5, p. 322 et acte 3, scène 1, p. 284.

Aquí está Celestina que le vido nascer y le ayudó a criar.33

  • 34 LC, acte 10, scène 2, p. 430.
  • 35 Et de fait, la « conversion de Pármeno » est totale à l’acte 7. Sur le retournement de Pármeno, voi (...)
  • 36 LC, acte 3, scène 1, p. 283 : « En nasciendo la mochacha, la hago escrivir en mi registro para sabe (...)
  • 37 LC, acte 7, scène 1, p. 367.

12Célestine toutefois n’accouche pas que les corps. À la façon de Socrate, fils de sage-femme (quoique suivant des motivations bien différentes !), Célestine permet à Mélibée de prendre conscience de sa propre passion : « mucho has abierto el camino por donde mi mal te pueda especificar », déclare la jeune femme avant de confesser son amour pour Calixte34. C’est également elle qui fait ressurgir en Pármeno son être le plus profond, enfoui sous l’écorce de l’éducation et de la fidélité au maître35. Ses activités plus ou moins licites d’accoucheuse et de maquerelle lui confèrent une connaissance intime de l’homme, de ses origines et de ses aspirations profondes. La finalité suprême de son savoir – de ce savoir qu’elle exerce ou enseigne – est dès lors l’homme, et non Dieu. Il s’agit assurément là d’une des grandes nouveautés de l’œuvre et d’un trait résolument moderne de la Tragi-comédie. C’est aussi sans doute en cela que les activités de la vieille peuvent être qualifiées d’illicites, si on entend par illicite ce qui est condamné par l’Église car jugé dangereux pour la société espagnole et la religion chrétienne. Parce que Célestine se livre avant tout à une anatomie de l’âme humaine, elle peut exercer sur les êtres qui l’entourent un contrôle rapproché36 et faire peser sur eux une vraie menace : « Lastimásteme, don loquillo. ¿A las verdades nos andamos ? Pues espera, que yo te tocaré donde te duela »37.

13La vieille sorcière puise dans la potentialité de ce dévoilement toute sa force et la clé même de son existence : la transmission est de ce fait un processus organiquement lié au personnage de Célestine et constitue, partant, la colonne vertébrale de l’œuvre éponyme. Les conséquences pour le commun des mortels de ce célestinesque savoir sont violentes, souvent fatales. L’accès par les autres personnages à la vérité, au savoir de Célestine, s’apparente en effet à une apocalypse, au sens étymologique du terme, soit à une révélation fulgurante dont personne ne sort indemne.

  • 38 Corinne Mencé-Caster, La Celestina de Fernando de Rojas. Langage et représentation du monde, Nantes (...)
  • 39 Voir sur ce point Marta Segarra, Traces du désir, Paris, 2008, p. 22. Le premier chapitre de ce liv (...)

14Deux personnages sont rendus particulièrement sensibles à ce savoir de Célestine, deux personnages qu’elle révèle à eux-mêmes avec un talent magistral et qui, plus que tout autre, évoluent dans l’œuvre sous l’action répétée de Célestine. Ce sont des personnages qualifiés de « dynamiques » par Corinne Mencé-Caster, par opposition aux personnages « figés » que sont Célestine, Calixte ou Sempronio38. Contrairement à ces derniers, Pármeno et Mélibée ont en effet – respectivement entre les actes 1 et 7 et entre les actes 4 et 10 – des programmes discursifs évolutifs qui permettent leur « conversion » progressive à la cause défendue par Célestine. L’effet de duplication créée par la répétition structurelle – la conversion de Mélibée se présentant comme une variation de celle de Pármeno – permet la mise sous tension de l’intrigue amoureuse. Chacun fonctionne ici comme un écho de l’autre, selon le procédé dit de « gémination » (pour reprendre une expression de Marta Segarra) qui offre au lecteur une double perspective sur une même question, scellant ainsi la structure dialogique de La Célestine39.

15Comment se fait cette évolution ? Comment procède la vieille pour révéler ces personnages à eux-mêmes ? Quels sont les codes de transmission de son savoir ? En d’autres termes, quelle est la « rhétorique de la transmission » mise en place par Célestine ? L’étude comparée de ces deux cas nous permettra de faire ressortir quelques-unes des modalités de la transmission dans la Tragi-comédie.

La transmission, un savoir en mouvement

  • 40 LC, acte 3, scène 1, p. 286, « Será de los nuestros » répète-elle à Sempronio à la réplique suivant (...)
  • 41 LC, acte 4, scène 1, p. 300.
  • 42 LC, acte 4, scène 5, p. 316.
  • 43 LC, acte 4, scène 5, p. 324.
  • 44 Concernant Pármeno, cf. LC, acte 1, scène 10, p. 255-256 : « Hijo, bien sabes cómo tu madre, que Di (...)
  • 45 Cf. supra note 20. Célestine est d’ailleurs reconnue dans toute la ville pour l’excellence de ses p (...)
  • 46 LC, acte 4, scène 5, p. 323 : Lucrecia : « ¡Ya, ya, perdida es mi ama ! ».
  • 47 Cf. LC, acte 1 scène 10, p. 252 et acte 4, scène 5, p. 306. Quand elle ne peut être seule avec son (...)
  • 48 Sur la notion d’espace dans La Célestine, voir Stephen Gilman, The Art of The Celestine, Madison, 1 (...)

16Célestine clame haut et fort sa décision de « faire siens » Pármeno et Mélibée. Du premier, elle promet dès l’acte 3 : « Yo le contaré en el número de los míos »40. Elle sait les dangers qu’elle court à vouloir instruire la deuxième et si elle doit réunir tout son courage pour ne pas lâcher l’affaire (« ¡Esfuerça, esfuerça Celestina ! ¡No desmayes ! »41), elle pressant son triomphe avant même la fin de l’acte 4 : « ¡Más fuerte estava Troya, y aun otras más bravas he yo amansado ! Ninguna tempestad mucho dura »42, et peut très vite se faire menaçante : « ¡Más será menester y más harás, y aunque no se te agradezca ! »43. La transmission se présente donc comme un acte « volontaire » de la part de l’émetteur, ce qui induit implicitement l’existence d’une « politique de la transmission ». Celle-ci ne repose toutefois pas sur la seule volonté du pédagogue ; elle se fonde aussi sur la confiance qu’accordent les récepteurs au « maître », confiance qui va de pair, sous la plume de Rojas, avec une connaissance préalable de ce dernier et avec sa reconnaissance par les récepteurs. Pármeno et Mélibée ont côtoyé la vieille dans leur enfance44 et tous deux savent, de leur propre aveu, « qui » est la vieille et quelles sont ses activités. Célestine jouit d’ailleurs, comme nous l’avons souligné plus haut45, d’une notoriété qui est une condition sine qua non de la transmission puisque sans reconnaissance du détenteur du savoir, point de salut pour la transmission ! Cette réputation n’est toutefois pas gage de succès immédiat... Célestine doit s’y reprendre à deux fois avant que ses « élèves » ne se plient à sa logique. Si elle commence à séduire Pármeno à l’acte 1, elle ne le convainc complètement qu’à l’acte 7 ; quant à Mélibée, si elle est « perdue » dès sa première entrevue avec la médiatrice, à l’acte 446, il faut toutefois attendre l’acte 10 pour qu’elle admette son amour pour Calixte. La stratégie de la maquerelle, dans les deux cas, est la même. Elle attend de se retrouver seule avec son interlocuteur pour entrer en scène et pénètre pour ce faire dans un espace qui n’est pas le sien47. Nous touchons là à un mécanisme fondamental de la transmission dans l’œuvre de Rojas : le parcours, le déplacement. La critique a parfois été déroutée par la confusion des espaces dans la Tragi-comédie et s’est interrogée sur la vraisemblance des parcours de l’entremetteuse48, toujours interpellée ou aperçue dans son trajet par un autre personnage :

  • 49 Respectivement acte 3, scène 1, p. 279 ; acte 4, scène 2, p. 301 et acte 5, scène 2, p. 329.

SEMPRONIO :

¡Qué espacio lleva la barvuda ! Menos sosiego trayan sus pies a la venida.

LUCRECIA :
SEMPRONIO :

¿Quién es esta vieja que viene haldeando ?
O yo no veo bien o aquélla es Celestina. ¡Válala el diablo, haldear que trae !49

17L’éclairage des processus inhérents à la transmission offre, me semble-t-il, une lecture cohérente du mouvement et des changements d’espace dans la Tragi-comédie de Fernando de Rojas. Les mouvements de Célestine sont en effet loin d’être un va-et-vient perpétuel et anarchique entre différents lieux juxtaposés. Toute tendue vers l’avenir par ses trajets et ses parcours (et non plus inscrite dans un espace aux coordonnées préalablement définies), la vieille maquerelle crée un espace de réalisation propre à la transmission.

  • 50 Sur la multiplicité des changements d’espace, voir Halina Czarnocka, « Sobre le problema del espaci (...)
  • 51 Pármeno la surnomme ainsi acte 2, scène 3, p. 274.
  • 52 LC, acte 4, scène 1, p. 298 : « podría ser que si me sintiessen en estos passos, de parte de Melibe (...)
  • 53 LC, acte 5, scène 1, p. 337.
  • 54 LC, acte 4, scène 1, p. 300.
  • 55 Pascal Mathiot, « Singuliers passages ». Essai sur la transmission des savoirs, Paris, 2001, p. 34.
  • 56 Respectivement LC, acte 1, scène 10, p. 256 et acte 4, scène 5, p. 318.

18Cet espace est, à première vue, fragmenté : « Salta a la vista el número de escenas divididas, cuando los personajes están separados por el muro, la pared o la puerta, escuchando lo que pasa detrás de la barrera », remarque à juste titre Halina Czarnocka50. Les espaces de l’action sont multiples – la maison de Calixte, celle de Mélibée, celle de Célestine et plus sporadiquement celle d’Areúsa ou de Centurion – et fréquemment clos. Ce sont des maisons, un jardin hautement protégé ou une église, l’évocation d’espaces ouverts n’étant qu’exceptionnelle. La topographie des lieux est cependant quelque peu confuse (la vieille habite bien près de la maison de Calixte, elle qui fut un temps voisine de Plébère) et l’omniprésence de Célestine dans ces multiples endroits perturbe constamment l’ordre géographique établi. Celle que l’on compare à une « trotte-couvent » (« trotaconventos »51) ne cesse en effet de transiter dans la ville, transgressant les barrières entre les espaces sans rencontrer, fait surprenant, d’opposition majeure. Lorsque ses pas la conduisent chez Mélibée, elle craint de trouver porte close52 mais entre sans ennui et peut à juste titre claironner devant Calixte que « queda abierta puerta para [su] tornada »53. Son mouvement a donc une double utilité. D’une part, une telle liberté de mouvement crée un espace propre à la transmission, dans ce que Pascal Mathiot appelle « une topologie plus leibnizienne que cartésienne ». Il ne s’agit pas pour la vieille de se déplacer d’un point à un autre pour arriver à une destination, mais de parvenir à ses fins en se plaçant à l’intersection de lignes multiples. Elle est ainsi, par son corps, outil de transmission. D’autre part, ce positionnement à la confluence de différents espaces atteste « l’ouverture » du récepteur et sa capacité à recevoir un savoir. Tous les habitants de la ville, à l’instar de Mélibée, lui ouvrent leur porte. Même les pierres s’écartent sur son chemin : « las piedras parece que se apartan y [le] fazen lugar que passe » prend soin d’ajouter l’auteur dans la version amplifiée de la Tragi-comédie54. Tous entrent ainsi dans un mouvement perpétuel, dans une in-quiétude qui est au fond inhérente à la réception : il n’y a de transmission effective que dans la réception. En effet, la passivité du récepteur ne lui permettrait pas d’adapter les données qu’il reçoit, de les intégrer et donc il n’y aurait pas transmission. Il s’agit là d’un paradoxe fondateur de la transmission, déjà souligné par Pascal Mathiot, à savoir qu’à la différence de la communication, qui implique un message préformé, déjà constitué, « la transmission ne se définit pas par un objet qui lui pré-existerait, mais par son parcours, par son devenir, impliquant [...] un mouvement, un changement de territoire et une hospitalité qui accueille le savoir nouveau en se laissant modifier »55. Et de fait, le « message » transmis par Célestine dans La Tragi-comédie importe assez peu. Son contenu varie au fil de la conversation, il prend diverses formes (le trésor du père de Pármeno, la rage de dents de Calixte56) mais n’a qu’une seule et même finalité. Il s’agit en effet de convertir les deux jeunes gens à la cause de Célestine, en suscitant en eux un doute quant à leurs attentes :

  • 57 Respectivement LC, acte 1, scène 10, p. 259 et acte 4, scène 5, p. 320.

PÁRMENO :

No sé qué haga. Perplexo estó. Por una parte, téngote por madre.
Por otra a Calixto por amo.

MÉLIBÉE :

Tanto afirmas tu ignorancia, que me hazes creerlo que puede ser.57

19Célestine bouleverse par sa simple présence l’ordre établi et permet – voire, oblige à – la confrontation de différentes visions de la réalité, loin de tout dogmatisme. Le sujet déchiré, divisé, devient un sujet multiple (qu’a à voir le doux et fidèle Pármeno de l’acte 1 avec la bête sanguinaire de l’acte 12 ?) qui ne peut dès lors être appréhendé que comme un être interrelationnel. Nous sommes en cela très proches du dialogisme littéraire moderne tel que l’a conçu Mikhaïl Bakhtine. La « position » de Pármeno ou de Mélibée ne peut en effet être comprise que par rapport à l’avancée de Célestine sur leur propre terrain. Rojas semble avoir parfaitement compris que dans la transmission, le mouvement seul importe : ce sont les phénomènes de recomposition de l’information qui, fondamentalement, déterminent le résultat de la transmission. Cette dernière ne saurait en effet être conçue sans les biais, filtres et autres ré-interprétations qui lui sont inhérents.

Transmission et transgression

  • 58 LC, acte 1 scène 10, p. 259.

20La stratégie discursive de Célestine quand elle se retrouve pour la première fois face à Pármeno ou face à Mélibée est la même. Soucieuse de leur transmettre son savoir, l’entremetteuse joue de son ancienneté, qu’elle veut synonyme d’expérience : « ¡O, hijo, bien dizen que la prudencia no puede ser sino en los viejos, y tú mucho eres moço ! »58, dit-elle à Pármeno dans sa première tentative de persuasion. C’est sur ce même motif, quoiqu’elle le décline alors dans le sens d’un carpe diem aisément reconnaissable, qu’elle entame la conversion de Mélibée :

  • 59 LC, acte 4, scène 5, p. 307.

¿Quién te podría contar, señora, sus daños, sus inconvenientes, sus fatigas, sus cuydados, sus enfermedades, su frío, su calor, su descontentamiento, su renzilla, su pesadumbre, aquel arrugar de cara, aquel mudar de cabellos su primera y fresca color [...]?59

  • 60 Je pense notamment à la reprise de Pétrarque, acte 4, scène 10, p. 309, notes 54 et 56.
  • 61 María Rosa Lida de Malkiel, La originalidad..., p. 190. Elle souligne que la singularité, invraisem (...)
  • 62 Mélibée, qui évoque les « palabras colegidas sacadas de aquellos antigos libros que tú, por aclarar (...)
  • 63 Sur ce point, voir Alan Deyermond, « Las fuentes petrarquescas de La Celestina », in S. López-Ríos, (...)
  • 64 On retiendra pour seul exemple les paroles employées par Sempronio pour tancer son maître, LC, acte (...)
  • 65 Louise Fothergill-Payne, « Séneca y La Celestina », in S. López-Ríos, Estudios sobre La Celestina, (...)
  • 66 LC, acte 1, scène 4, p. 221. Cette « exhibition de didactisme », pour reprendre une expression de M (...)

21Elle en appelle alors, tout particulièrement face à Mélibée, aux auteurs antiques, qui constituent le soubassement de la structure dialogique de La Célestine60. Tous les personnages de La Célestine font en effet montre d’une érudition que la critique a souvent jugé déplacée parce qu’invraisemblable, alors même qu’elle constitue un aspect fondamental du style de l’œuvre, comme l’a démontré à plusieurs reprises Lida de Malkiel61. De nombreuses sentences de Sénèque, Cicéron ou Pétrarque – citations classiques identifiées et répertoriées par la critique – envahissent l’œuvre de Rojas, émaillant aussi bien les propos de Plebère ou de Mélibée62 que ceux des personnages de bas étage. Cependant, tous ces personnages, loin de recevoir passivement la sagesse des anciens, ne cessent de l’adapter à leurs actions. Il convient en effet de souligner que les emprunts de Rojas aux tragédies de Sénèque ou au De remediis de Pétrarque, pour ne citer que ces deux exemples, se limitent généralement à certaines scènes et à certaines structures dialogiques. Les citations transmises des auteurs classiques sont souvent erronées, soit par falsification (changements de mots), soit par omission (citations tronquées)63. Extraites de leur contexte au point de perdre leur signification première, lesdites citations sont en outre fréquemment mises sur le même plan que les proverbes et sentences populaires, les personnages de La Tragi-comédie mêlant allègrement savoir populaire et savoir érudit64. Dès lors désinhibé par le recours à une langue simple, accessible à tout un chacun, et encouragé par la béance laissée par les manipulations opérées sur les sources, l’auditeur (et par extension, le lecteur) peut compléter les parties manquantes à sa guise ; il peut, en d’autres termes, recomposer l’information. Nous sommes au cœur des mécanismes complexes de la transmission du savoir qui, à la différence de ceux en vigueur dans la communication, proposent une information nécessairement incomplète, inachevée puisqu’elle ne vaut que par sa capacité à être reprise par ceux qui la reçoivent en héritage. Plus que la parole actoriale traditionnelle, c’est ici l’adaptation de la loi à la singularité de l’événement qui prédomine. Il en émane une sorte de jurisprudence créatrice qui participe, à n’en pas douter, à l’originalité et à la grande modernité de l’œuvre de Rojas. Les mécanismes de la transmission dans La Célestine semblent dès lors impliquer, si l’on en croit l’auteur qui en a déconstruit les rouages, la probabilité constante d’une transgression. Peut-être Rojas cherchait-il à se moquer de la connaissance superficielle de la philosophie morale des nouveaux lecteurs à travers les sentences et les traductions annotées, comme le suggère Louise Fothergill65. Peut-être voulait-il faire valoir un type de transmission plus contemporain, qu’il jugeait plus adapté à l’air de son temps. Toujours est-il que le savoir des autorités antiques est ici détourné au profit d’un besoin impérieux de médiateté. C’est l’expérience qui prime, et plus précisément l’expérience transgressive : « Haz tú lo que bien digo y no lo que mal hago »66 ironise Sempronio dès le premier acte de la Tragi-comédie. Cette manipulation des sources est l’un des filtres les plus patents du mécanisme de la transmission des savoirs dans l’œuvre. Elle n’en est toutefois pas le seul. La transmission des savoirs se caractérise en effet également par une continuelle « re-composition en marge » du message, soit par l’émetteur, soit par le récepteur du savoir en question.

  • 67 Parmi ces études, cf. María Rosa Lida de Malkiel, La originalidad artística de La Celestina, 2e ed. (...)
  • 68 Je reprends la définition de « l’aparté d’intention » que Nathalie Fournier propose pour le théâtre (...)

22La présence des apartés, trop nombreuse pour que j’en relate ici toutes les occurrences, ne peut être interprétée comme une imitation exagérée ou capricieuse, et encore moins servile, des apartés employés de façon occasionnelle dans la comédie latine67. On ne saurait douter de l’intention démonstrative qui en sous-tend l’usage. De nombreux apartés dans l’œuvre peuvent à l’évidence être perçus comme des « apartés d’intention » (l’expression est de Nathalie Fournier), dans la mesure où ils condamnent massivement la conduite des personnages et proposent un regard critique sur leur comportement68. Le statut communicationnel très particulier de l’aparté nous renseigne toutefois davantage sur le fonctionnement du dialogue dans La Célestine et sur les modalités de la transmission dans l’œuvre que sur l’attitude des personnages.

  • 69 Dans le cas de Mélibée, c’est l’affirmation du caractère diabolique de Célestine qui se manifeste a (...)

23La reformulation du dialogue en aparté est présente dans les deux passages qui retiennent présentement notre attention. Il ne s’agit pas ici d’en rappeler les diverses modalités (apartés entendus ou non par autrui, formulés pour soi-même ou pour un tiers, etc.) mais de comprendre le rôle qu’ils jouent dans les mécanismes de transmission du savoir de Célestine dans la mesure où, dans les deux cas, ce qui se dit en aparté modifie en profondeur la dynamique de l’échange. Voyons par exemple le premier aparté qui survient dans la joute verbale qui oppose Célestine à Pármeno69. Il marque le premier infléchissement de Pármeno vers la trahison à son maître Calixte :

SEMPRONIO (aparte) : Ensañada está mi madre. Duda tengo en su consejo. Yerro es no creer, y culpa creerlo todo. Mas humano es confiar, mayormente en ésta que interesse promete, a do prouecho no[s] puede, allende de amor, conseguir. Oydo he que deve hombre a sus mayores creer. Ésta ¿qué me aconseja ? Paz con Sempronio. La paz no se deve negar, que bienauenturados son los pacíficos, que fijos de Dios serán llamados. Amor no se deve rehuyr [ni] caridad a los hermanos. Interesse pocos le apartan. Pues quiérola complazer e oyr.

S’ensuit une première acception de Célestine comme « nouveau maître » :

  • 70 LC, acte 1, scène 10, p. 263-264.

(En voz alta) – Madre, no se deve ensañar el maestro de la ignorancia del discípulo. Si no, raras vezes por la sciencia, que es de su natural comunicable, y en pocos lugares se podría infundir. Por eso perdóname, háblame ; que no sólo quiero oyrte y creerte, mas en singular merced rescibir tu consejo (je souligne).70

24Si la conformité entre ce qui se dit en aparté et ce qui est déclaré à l’interlocuteur est, dans le cas présent, exemplaire, elle n’en est pas moins extrêmement rare. La plupart du temps, le contenu de l’aparté entre en contradiction avec ce qui est ouvertement déclaré, rendant de la sorte possibles des interprétations multiples de la part des auditeurs. Voyons l’exemple proposé dans la conversation entre Célestine et Mélibée :

  • 71 LC, acte 4, scène 5, p. 324.

CELESTINA :

Pues, ¿por qué murmuras contra mí, loquilla ? Calla, que no sabes si me avrás menester en cosa de más importancia. No provoques a yra a tu señora más de lo que ella ha estado. Déxame yr en paz.

MELIBEA :

¿Qué le dizes, madre ?

CELESTINA :

Señora, acá nos entendemos.

MELIBEA :

Dímelo, que me enojo quando, yo presente, se habla cosa de que no aya parte.

CELESTINA :

Señora, que te acuerde la oración para que la mandes escrivir, y que aprenda de mí a tener mesura en el tiempo de tu yra.71

  • 72 Voir M. Segarra, Trace du désir..., p. 24. L’auteur conclut : « Ces paroles détournées de leur sens (...)

25Si Lucrecia sait que Célestine ment quand elle répond à l’injonction de Mélibée, Mélibée, elle, interprète la réponse comme un encouragement à céder aux besoins de Calixte. L’aparté permet donc non seulement de pointer la multiplicité des voix, ou « polyphonie » du texte, mais aussi de jouer « avec ce que nous pourrions appeler la poly-écoute ou variabilité des possibilités de décodage d’un même énoncé », comme l’a mis en évidence, au sujet d’un autre passage du texte, Marta Segarra72. Il y a en effet modification du sens en fonction de l’écoute ou non du récepteur des énoncés et de l’intentionnalité de l’émetteur, et donc éclatement des voies de transmission. La polyphonie induite par ce phénomène d’éclatement participe d’un dialogisme qui devient, de fait, constitutif du mode de transmission du savoir dans La Célestine. Ainsi, outre qu’il dénonce la duplicité fondamentale des personnages, l’aparté ouvre un espace à un apprentissage nouveau, situé en marge des canaux officiels de diffusion du savoir (la rhétorique antique) et des canons dialogiques traditionnels.

  • 73 Il y a par exemple détournement de sens lorsque Célestine profite d’une question de Mélibée pour lu (...)
  • 74 LC, acte 7, scène 1, p. 365.
  • 75 LC, acte 10, scène 3, p. 436 : « ¡O, por Dios, señora Melibea ! ¿Qué poco esfuerço es éste ? ¿Qué d (...)

26Ce sont là autant de biais, de filtres et de ré-interprétations (la liste n’est pas exhaustive, la pratique du détournement et du secret sont d’autres modalités de la transmission qu’il conviendrait d’analyser73) qui président aux processus de transmission des savoirs de la vieille dans l’œuvre de Rojas. Par ces voies détournées, la vieille entend bien transmettre à ses interlocuteurs ce qu’elle sait de leur nature profonde, quand bien même cette acquisition doit se faire contre leur propre gré. C’est en effet un savoir dont les personnages de La Célestine se seraient bien passés, comme en témoigne Pármeno : « ¡No la medre Dios más [a] esta vieja que ella me da plazer con estos loores de sus palabras ! »74, un savoir qui, parce qu’il touche aux fondements originels de l’homme, représente un danger pour quiconque y accède. Il s’acquiert d’ailleurs dans un certain malaise (cas de Pármeno), voire, dans une extrême violence (c’est le cas de Mélibée quand elle comprend ce que signifie la venue de la vieille)75. La transmission du savoir de Célestine s’apparente dans les deux cas à une véritable passion (le terme apparaît à des multiples reprises), à un chemin de croix que Pármeno refusera de parcourir jusqu’au bout. C’est pour abréger ses propres souffrances qu’il assassine la vieille, croyant pouvoir ainsi faire taire les démons qui le hantent. Le refus initial des personnages d’accepter l’évidence de ce qui leur est transmis est à la mesure de l’ampleur du mystère qui leur est dévoilé :

  • 76 Carlos Fuentes, Cervantes o la crítica de la lectura, Mexique, 1976, p. 50.

Esoterismo significa precisamente eiso theiros, yo hago entrar. Celestina, a todos los niveles, es la introductora : de la carne en la carne, del pensamiento en el pensamiento, de la fantasía en la razón, de lo ajeno en lo propio, de lo olvidado en lo providencial, del sueño en la vigilia, del pasado en el presente.76

Notes

1 Georges Martin, prologue, in : Georges Martin (dir.), Fernando de Rojas. La Celestina. Comedia o tragicomedia de Calisto y Melibea, Paris, 2008 p. 5. Concernant le genre littéraire suscité par La Célestine, voir Pierre Heugas, « La Célestine » et sa descendance directe, Bordeaux, 1973.

2 Toutes mes citations de l’œuvre sont tirées de Fernando de Rojas. La Celestina. Comedia o tragicomedia de Calisto y Melibea, édition de Peter Russell, Madrid, Castalia, 1991 [désormais LC]. En l’occurrence, LC, p. 190.

3 LC, acte 7, scène 4, p. 382.

4 LC, acte 7, scène 2, p. 375-376.

5 LC, acte 7, scène 4, p. 382 : « Hazíalo yo mejor quando tu abuela me mostrava este oficio ; que a cabo de un año sabía más que ella ».

6 Areúsa n’hésitera pas à reprendre auprès d’Elicia le flambeau laissé par Célestine à sa mort. Cf. LC, acte 17, scène 3, p. 549 : « Pues aprende, prima, que otra arte es esta que la de Celestina » déclare-t-elle à sa cousine.

7 LC, acte 2, scène 3, p. 273.

8 LC, acte 10, scène 2, p. 430.

9 LC, acte 2, scène 3, p. 437.

10 LC, acte 3, scène 1, p. 289, Sempronio parle des « inconuenientes con [su] poca esperiencia », qu’il oppose au savoir de Célestine : « que no tú como maestra vieja ».

11 Les déclarations allant en ce sens abondent. Cf. pour exemple LC, acte 19, scène 1, p. 563 : Tristán à Sosia : « Otro seso más maduro y esperimentado que no el mío era necessario para darte consejo en este negocio ». Célestine s’affranchit radicalement de cet univers : « Por hazerte a ti honesta, me hazes a mí nescia y vergonçosa, y de poco secreto y sin esperiencia, y me amenguas en mi oficio por alçar a ti en el tuyo » (LC, acte 7, scène 3, p. 380).

12 LC, acte 1, scène 10, p. 263. Areúsa fait exception au tableau, affirmant son savoir et son expérience.

13 LC, acte 12, scène 10, p. 480.

14 LC, acte 12, scène 10, p. 482.

15 Cf. Jean-Pierre Jardin, « Célestine et les démons », in G. Martin, La Celestina..., note 4.

16 LC, acte 1, scène 7, p. 242. LC, acte 1, scène 7, p. 242 : « El que no conosce mi casa, tenlo por estrangero ».

17 LC, acte 2, scène 3, p. 273 et LC, acte 10, scène 1, p. 426, respectivement.

18 Respectivement, LC, acte 2, scène 3, p. 273 et acte 10, scène 1, p. 426.

19 Je renvoie sur ce point à Georges Martin, « Urraque, bon amour et autres petits noms charmants », Les langues néo-latines, 2005, p. 5-16.

20 LC, acte 3, scène 1, p. 283.

21 LC, acte 1, scène 7, p. 241-247. En l’occurrence, p. 241 : « Tiene esta buena dueña al cabo de la cibdad, allá cerca de las tenerías, en la cuesta del río, una casa apartada, medio cayda, poco compuesta y menos abastada. Ella tenía seys oficios, conviene a saber : labrandera, perfumera, maestra de fazer afeytes y de fazer virgos, alcahueta y un poquito hechizera ».

22 LC, acte 1, scène 7, p. 243-245.

23 Cf. LC, acte 1, scène 7, p. 245-247. Sur les condamnations de Célestine pour sorcellerie, Pármeno en dit long, cf. LC, acte 7, scène 1, p. 366. Voir aussi LC, acte 4, scène 3, p. 303, lorsque Lucrecia s’étonne du peu de mémoire d’Alicia : « no sé cómo no tienes memoria de la que empicotaron por hechizera » ; la servante complète aussitôt sa réponse par l’information suivante, concernant le commerce de la chair auquel Célestine se livrait : « ... que vendía las moças a los abades y descasava mill casados ».

24 La métaphore est longuement filée lors de la deuxième entrevue avec Mélibée. Cf. LC, acte 10, scène 2, p. 430-431 :
MELIBEA : Amiga Celestina, muger bien sabia e maestra grande, mucho has abierto el camino por donde mi mal te pueda especificar. Por cierto, tú lo pides como muger bien esperta en curar tales enfermedades. Mi mal es de coraçón, la ysquierda teta es su aposentamiento, tiende sus rayos a todas partes. Lo segundo, es nuevamente nacido en mi cuerpo, que no pensé jamás que podía el dolor privar el seso como éste haze ; túrbame la cara, quítame el comer, no puedo dormir, ningún género de risa querría ver. La causa o pensamiento, que es la final cosa por ti preguntada de mi mal, ésta no sabré dezir[te] [...].
CELESTINA : ¿Cómo, señora, tan mal hombre es aquél ? ¿Tan mal nombre es el suyo, que en sólo ser nombrado trae consigo ponçoña su sonido ? No creas que sea éssa la causa de tu sentimiento, antes otra que yo barrunto. Y pues que assí es, si tú licencia me das, yo, señora, te la diré.
MELIBEA : ¿Cómo Celestina ? ¿Qué es esse
nueuo salario, que pides ? ¿De licencia tienes tú necessidad para me dar la salud ? ¿Quál físico jamás pidió tal seguro para curar al paciente ? Di, di, que siempre la tienes de mí, tal que mi honrra no dañes con tus palabras.
CELESTINA : Véote, señora, por una parte quexar el
dolor, por otra temer la melezina. Tu temor me pone miedo, el miedo silencio, el silencio tregua entre tu llaga e mi melezina. Assí que será causa que ni tu dolor cesse ni mi venida aproveche.
MELIBEA : Quanto más dilatas la
cura, tanto más me acrecientas e multiplicas la pena y passión. O tus melezinas son de polvos de infamia e licor de corrupción, conficionados con otro más crudo dolor que el que de parte del paciente se siente, o no es ninguno tu saber. Porque si lo uno o lo otro no [obstasse], qualquiera remedio otro darías sin temor, pues te pido le muestres, quedando libre mi honrra.
CELESTINA : Señora, no tengas por nuevo ser más fuerte de sofrir al herido la ardiente trementina y los ásperos puntos que lastiman lo llagado [y] doblan la passión, que no la primera lisión que dio sobre sano. Pues si tú quieres ser sana y que te descubra la punta de mi sotil aguja sin temor, haz para tus manos y pies una ligadura de sosiego, para tus ojos una cobertura de piedad, para tu lengua un freno de [silencio], para tus oydos unos algodones de sofrimiento y paciencia, y
verás obrar a la antigua maestra destas llagas.
MELIBEA : O, ¡cómo me muero con tu dilatar ! Di, por Dios, lo que quisieres, haz lo que supieres ; que no podrá ser tu
remedio tan áspero que yguale con mi pena y tormento. ¡Agora toque en mi honrra, agora dañe mi fama, agora lastime mi cuerpo ! Aunque sea romper mis carnes para sacar mi dolorido coraçón, te doy mi fe ser segura y, si siento alivio, bien galardonada.

25 D’autres personnages, Sempronio à l’acte 1 et Elicia à l’acte 16, apparaissent comme « maîtres » (« ayo », « maestra ») de Calixte ou d’Areúsa.

26 Exception faite, je le répète, d’Areúsa, comme il est signalé en note 6 de cet article.

27 George Shipley, « Autoridad y experiencia en La Celestina », in Santiago López-Ríos (éd.), Estudios sobre la Celestina, Madrid, 2001, p. 546-578 (notamment p. 553-554).

28 LC, acte 1, scène 4, p. 234.

29 LC, acte 15, scène 3, p. 525.

30 Le terme « autorité » ne s’applique à nouveau qu’à Célestine (même si Sempronio généralise en parlant des « autorizantes ropas » des femmes à l’acte 1).

31 Je renvoie sur ce point à Marie-Dominique Chenu, « Auctor, actor, autor », Archivum latinitatis Medii AEvi, Bulletin Du Cange, 1927, tome 3, p. 81-86. Voir aussi Steven Bernas, Archéologie de la notion d’auteur, Paris, 2001, p. 63 : « Si l’autorité, auctoritas, caractère de l’auctor, définit ce que le français va nommer l’auteur, le mot et la notion d’autorité nous viennent de la pensée romaine. Auctor, c’est celui qui soutient une chose et la développe ; auctoritas, c’est la force qui sert à soutenir et à accroître un pouvoir ».

32 Appétit qu’elle exprime lors de l’accouplement de Pármeno et Areúsa, acte 7, scène 3, p. 381 : « que me hazés dentera con besar y retoçar ».

33 Respectivement, LC, acte 4, scène 5, p. 322 et acte 3, scène 1, p. 284.

34 LC, acte 10, scène 2, p. 430.

35 Et de fait, la « conversion de Pármeno » est totale à l’acte 7. Sur le retournement de Pármeno, voir Corinne Mencé-Caster, « Présence et modulation du sujet dans le discours. Entre vouloir et devoir : Pármeno face à Célestine », in G. Martin, La Celestina..., p. 119-137.

36 LC, acte 3, scène 1, p. 283 : « En nasciendo la mochacha, la hago escrivir en mi registro para saber quántas se me salen de la red ».

37 LC, acte 7, scène 1, p. 367.

38 Corinne Mencé-Caster, La Celestina de Fernando de Rojas. Langage et représentation du monde, Nantes, 2008, p. 28-29.

39 Voir sur ce point Marta Segarra, Traces du désir, Paris, 2008, p. 22. Le premier chapitre de ce livre, p. 15-34, est consacré à La Célestine.

40 LC, acte 3, scène 1, p. 286, « Será de los nuestros » répète-elle à Sempronio à la réplique suivante.

41 LC, acte 4, scène 1, p. 300.

42 LC, acte 4, scène 5, p. 316.

43 LC, acte 4, scène 5, p. 324.

44 Concernant Pármeno, cf. LC, acte 1, scène 10, p. 255-256 : « Hijo, bien sabes cómo tu madre, que Dios aya, te me dio viviendo tu padre ». Concernant Mélibée, cf. LC, acte 4, scène 2, p. 301 et scène 5, p. 309.

45 Cf. supra note 20. Célestine est d’ailleurs reconnue dans toute la ville pour l’excellence de ses prestations, et sa clientèle est nombreuse et fidèle.

46 LC, acte 4, scène 5, p. 323 : Lucrecia : « ¡Ya, ya, perdida es mi ama ! ».

47 Cf. LC, acte 1 scène 10, p. 252 et acte 4, scène 5, p. 306. Quand elle ne peut être seule avec son interlocuteur, elle le prend en aparté. Cf. le cas de Lucrecia, à la fin de l’acte 4, scène 5, p. 324-325.

48 Sur la notion d’espace dans La Célestine, voir Stephen Gilman, The Art of The Celestine, Madison, 1956, p. 125-129 ; Fernando Cantalapiedra Erostarbe, « Los rasgos pertinentes del espacio en La Celestina », in Miguel Ángel Garrido Gallardo (coord.), Crítica semiológica de textos literarios hispánicos, vol. II (Actas del Congreso Internacional sobre Semiótica e Hispanismo celebrado en Madrid en los días 20 al 25 de Junio de 1983), Madrid, 1986, p. 285-298.

49 Respectivement acte 3, scène 1, p. 279 ; acte 4, scène 2, p. 301 et acte 5, scène 2, p. 329.

50 Sur la multiplicité des changements d’espace, voir Halina Czarnocka, « Sobre le problema del espacio en La Celestina », Celestinesca, vol. 9, n° 2 (1985), p. 65-75.

51 Pármeno la surnomme ainsi acte 2, scène 3, p. 274.

52 LC, acte 4, scène 1, p. 298 : « podría ser que si me sintiessen en estos passos, de parte de Melibea, que no pagasse con pena que menor fuesse que la vida ».

53 LC, acte 5, scène 1, p. 337.

54 LC, acte 4, scène 1, p. 300.

55 Pascal Mathiot, « Singuliers passages ». Essai sur la transmission des savoirs, Paris, 2001, p. 34.

56 Respectivement LC, acte 1, scène 10, p. 256 et acte 4, scène 5, p. 318.

57 Respectivement LC, acte 1, scène 10, p. 259 et acte 4, scène 5, p. 320.

58 LC, acte 1 scène 10, p. 259.

59 LC, acte 4, scène 5, p. 307.

60 Je pense notamment à la reprise de Pétrarque, acte 4, scène 10, p. 309, notes 54 et 56.

61 María Rosa Lida de Malkiel, La originalidad..., p. 190. Elle souligne que la singularité, invraisemblable d’un point de vue réaliste, du fait que tous les personnages parlent dans ce style montre qu’il s’agit de façon irréfutable d’un phénomène stylistique essentiel (et non de fioritures). Elle affirme que La Célestine est de ce fait organiquement liée à la tradition rhétorique médiévale et à son culte de l’amplification.

62 Mélibée, qui évoque les « palabras colegidas sacadas de aquellos antigos libros que tú, por aclarar mi ingenio, me mandavas leer », cf. LC, acte 20, scène 3, p. 590.

63 Sur ce point, voir Alan Deyermond, « Las fuentes petrarquescas de La Celestina », in S. López-Ríos, Estudios sobre La Celestina, Madrid, 2001, p. 105-127.

64 On retiendra pour seul exemple les paroles employées par Sempronio pour tancer son maître, LC, acte 1, scène 4, p. 224-225 : après une indélicate allusion aux amours illicites de la grand-mère de ce dernier (« lo de tu abuela con el ximio, ¿fablilla fue ? »), le serviteur conseille à son maître de recourir à la sagesse des anciens : « Lee los ystoriales, estudia los filósofos, mira los poetas. Llenos están sus libros de sus viles y malos exemplos [...]. Oye a Salomón, do dize que las mugeres y el vino hazen a los hombres renegar. Conséjate con Séneca y verás en qué las tiene. Escucha al Aristóteles, mira a Bernardo ».

65 Louise Fothergill-Payne, « Séneca y La Celestina », in S. López-Ríos, Estudios sobre La Celestina, Madrid, 2001, p. 128-134, en l’occurrence p. 132 : « La técnica de Rojas de mezclar las sentencias con lenguaje llano es muy semejante a lo que hace el primer autor. mediante citas erróneas, cambios de palabras o citas a medias, ambos autores dejan a los lectores completar lo que falta. Así, la yuxtaposición irónica del texto que se está citando y su nuevo emplazamiento apuntan sútilmente a la intención oculta de ambos autores : burlarse del superficial conocimiento de la filosofía moral que los nuevos lectores habían adquirido en los compendios de sentencias y en las traducciones anotadas ».

66 LC, acte 1, scène 4, p. 221. Cette « exhibition de didactisme », pour reprendre une expression de Maria Lida de Malkiel, souligne la contradiction qui existe entre le bien-fondé des savoirs énoncés par les personnages et l’usage qu’ils en font. Cf. Maria Rosa Lida de Malkiel, « Rasgos comunes a los carácteres de La Celestina », in S. López-Ríos, éd., Estudios..., p. 169-209, p. 205.

67 Parmi ces études, cf. María Rosa Lida de Malkiel, La originalidad artística de La Celestina, 2e ed., Buenos Aires, Eudeba, 1970, p. 136-148 ; Dorothy S. Severin, « Humour en La Celestina », Romance Philology, 32 (1978-1979), p. 274-291 ; Chantal Cassan Moudoud, « El uso de los apartes en La Celestina », Celestinesca, 11, n° 1 (1987), p. 13-20.

68 Je reprends la définition de « l’aparté d’intention » que Nathalie Fournier propose pour le théâtre français des XVIe et XVIIe siècles. Cf. Nathalie Fournier, L’aparté dans le théâtre français du XVIIe siècle au XXe siècle : étude linguistique et dramaturgique, Louvain/Paris, 1991, p. 264 : il s’agirait de donner aux spectateurs, je la cite, « l’intelligence [entendons la connaissance, le savoir] du sens caché de ce que disent les personnages et d’avertir les intentions secrètes d’un acteur, surtout de ces projets de tromperie et de vengeance : exécutoire des sentiments secrets, l’aparté donnerait donc un accès sur le vif au cœur du personnage et permettrait de le caractériser psychologiquement (dégage des traits génériques ou individuels) – notamment de dénoncer leur hypocrisie ».

69 Dans le cas de Mélibée, c’est l’affirmation du caractère diabolique de Célestine qui se manifeste alors. Cf. LC, acte 4, scène 5, p. 324 : « ¡Más será menester y más harás, y aunque no se te agradezca ! ».

70 LC, acte 1, scène 10, p. 263-264.

71 LC, acte 4, scène 5, p. 324.

72 Voir M. Segarra, Trace du désir..., p. 24. L’auteur conclut : « Ces paroles détournées de leur sens original, ces énoncés émis dans une intention déterminée et qui changent de sens en étant entendus par d’autres récepteurs que prévus, toutes ces possibilités linguistiques, en définitive, créent un effet de réalité à multiples facettes : chacun a son point de vue, rien n’est vrai ou faux dans un monde chaotique, ou “grostesque”, si nous suivons Bakhtine ».

73 Il y a par exemple détournement de sens lorsque Célestine profite d’une question de Mélibée pour lui indiquer l’âge de Calixte, acte 4, scène 5, p. 322. Quant au secret, il apparaît dès la fin de l’acte 4, dans le pacte conclu entre Mélibée et Célestine : « muy secretamente », acte 4, scène 5, p. 323.

74 LC, acte 7, scène 1, p. 365.

75 LC, acte 10, scène 3, p. 436 : « ¡O, por Dios, señora Melibea ! ¿Qué poco esfuerço es éste ? ¿Qué descaescimiento ? ».

76 Carlos Fuentes, Cervantes o la crítica de la lectura, Mexique, 1976, p. 50.

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